Fini la «hchouma», les tabous et l'autocensure : les Marocains délient leurs langues sans crainte, se lâchent, expriment leurs opinions, partagent avec les autres leurs joies et leurs déboires, les films qu'ils ont aimés ou détestés… «Où et comment ?», demandent certains. Via les blogs, tout simplement ! Ce phénomène, défini aujourd'hui comme la blogosphère, connaît un essor sans précédent partout dans le monde.
Souvent définis comme «journaux intimes en ligne», les blogs ont connu leur essor médiatique grâce au 11 septembre 2001. Cet événement tragique, qui a dressé la quasi-totalité des médias américains aux côtés de l'Administration Bush, n'a laissé que peu de place aux voix discordantes qui ont pu trouver au sein du web et des blogs en particulier un moyen d'expression.
Au Maroc, le phénomène a commencé en 2004. Mais le véritable boom a éclaté vers le deuxième trimestre de 2005. Selon Rachid Jankari, journaliste NTIC à Menara.ma, cela est lié à l'explosion d'Internet. «Le Maroc compte près de 5 millions d'internautes, 300.000 abonnés dont 95% haut débit. Des acteurs locaux ont aussi contribué à ce boom grâce à la création de deux plates-formes (www.blogs.ma/ www.blogjahiz.ma), ce qui a permis à de nombreux Marocains de bloguer gratuitement. Un blog est une source d'interactivité, un vecteur de partage de savoir et de communication.
Il encourage la défense des libertés. C'est une vitrine pour renforcer la visibilité du Maroc en ligne (dynamique sociale, politique et économique)». Recenser le nombre de blogs est quasi mission impossible. Selon les estimations, on compterait aujourd'hui plusieurs millions -ou dizaines de millions- de blogs dans le monde.
Quant à définir le profil des bloggers, cela relève de l'impossible. De l'adolescent à l'élu politique, du journaliste à la ménagère au foyer, internautes acharnés et cadres branchés, étudiants en soif de socialisation et e-journalistes revendicateurs, des jeunes, des adultes, des fonctionnaires… les bloggers ne constituent pas tant une «espèce à part» que l'ensemble des internautes ayant décidé de s'exprimer dans un espace qui leur est propre. «C'est un arc en ciel, dit Rachid Jankari, il y a de tout : managers, entreprises, MRE, journaux d'adolescents, blogs multilangues, médecins…». «Le blog représente la démocratisation de l'information.
C'est une source d'information viable. On y trouve beaucoup d'information. Dans un certain sens, on peut dire qu'ils remplacent les agences de presse. En créant son blog, on accède à une liberté d'expression et de création», continue cet ingénieur informaticien, grand adepte d'Internet.
Sanaa El Aji, attachée de presse à Maroc Telecom et créatrice d'un blog, raconte son expérience : «Le blog est un nouveau et excellent moyen de communication. Il y a un retour, des commentaires, une discussion qui s'installe. Il y a un feed-back par rapport à ce qu'on écrit.
C'est quelque chose que l'on n'a pas en tant que journaliste ou écrivain. Sans oublier le fait que l'on peut lier beaucoup d'amitiés. Pour le créer, rien de plus facile. Je n'ai pas de connaissances techniques en informatique, mais à vrai dire je n'en ai pas eu besoin. C'est aussi simple que de créer une boîte email.» Ainsi, au fil des ans, les blogs ont pris une ampleur considérable, amenant les observateurs à considérer qu'il s'agit d'un phénomène de masse et non d'une simple mode passagère.
Se plaçant dans le monologue et le dialogue, le blog dégage des commentaires. Et un simple suivi des commentaires émis sur les blogs prouve que le «blog comment» a aidé à l'émergence d'une communauté très soudée : le blogoma.
Loin d'être un réseau professionnel ou une communauté axée sur un loisir ou une cause, le blogoma est avant tout un réseau relationnel de très haute qualité formé par des individus qui se lisent fréquemment. «Pour qu'un blog soit lu, il faut être au courant de ce qui se passe sur les autres blogs, se tenir au courant des actualités et sans cesse alimenter son blog … sinon où est l'intérêt de lire un blog. On attire les lecteurs en écrivant des choses intéressantes», explique Sanaa El Aji. Les blogs usent, en effet, nombre de leurs caractéristiques pour se développer.
Ainsi la pratique des blogrolling encourage le lecteur d'un blog à découvrir et lire de nombreux autres blogs. Et cela prend d'autant plus d'ampleur que les blogs tendent aujourd'hui à mettre à profit presque toutes les fonctions multimédias du web : photoblog, vidéoblog, mobiblog, audioblog, etc.
Et s'il y avait un petit côté narcissique dans tout ça ? «Un côté narcissique ? Oui il y en a un, mais c'est comme pour les écrivains ou les chroniqueurs. Dans l'acte même d'écrire il y a un côté narcissique, mais il n'y a aucun mal si ce qu'on écrit intéresse le lecteur et suscite le débat. Sur un blog, il n'y a pas de limite ou de blocage. D'ailleurs, beaucoup sont des journaux intimes, mais qui sont excellents et c'est un très bon moyen de communiquer». «Ceux qui pensent qu'il y a du narcissisme devraient aller faire un tour dans la blogosphère.
Les journaux intimes représentaient la phase initiale mais maintenant c'est beaucoup plus vaste. Il y a avant tout une dimension de partage», continue Rachid Jankari. Les raisons de l'élan d'un blog sont, en effet, très variées et répondent souvent à un certain besoin : la satisfaction de l'ego pour ceux qui veulent sentir qu'ils comptent aux yeux des autres, qu'ils sont au centre de l'attention, la nécessité de s'affirmer au sein de la société afin de prouver qu'ils existent et qu'ils ne sont pas un simple rouage dans la société, un moyen de s'évader pour exprimer librement leur créativité, voire même sur un autre registre un défouloir, une envie de partager avec les autres...
Le blog peut, en effet, constituer un outil de socialisation. Il permet de s'insérer dans une communauté de bloggers partageant les mêmes centres d'intérêt. Il peut être l'occasion d'échanges et de débats. Il peut aussi faire naître un lien entre le blogger et ses lecteurs.
En ce sens, un blog est donc loin d'être non seulement un journal intime en ligne, la dimension d'échange est centrale sinon le blogger ne rendrait pas son blog public. «Et si certains sont dérangés par ce côté narcissique et ne comprennent pas que le blog nous permet de nous exprimer et de communiquer avec les autres, avec un simple clic, ils quittent la page et vont visiter d'autres blogs», conclut Sanaa El Aji. ___________________________________________
Blogs et médias : une relation complexe Les blogs constituent, à n'en pas douter, un nouveau média d'information, libre et incisif, et incitent les observateurs à étudier les conséquences de cette nouvelle forme d'expression publique. «C'est un complément, une source alternative qui peut parfois dénoter avec le discours ambiant ou être très performante sur des sujets peu couverts par les médias », dit notre informaticien.
En effet, quand plusieurs médias internationaux tels que le «New York Times» ou le «Guardian » disposent de leurs propres blogs, que de nombreux journalistes disposent également d'un blog personnel, cela démontre qu'il existe une relation très complexe entre les blogs et les médias. Souvent les médias voient certains faits leur échapper du fait de la contrainte de la publication, contrairement aux blogs.
Et c'est justement ici que ces derniers peuvent intervenir comme source complémentaire d'informations pour les médias traditionnels. Un blogger qui est parfois un spécialiste dans son domaine et qui va échanger au sein d'une communauté de bloggers sur un thème précis, constitue pour un journaliste une source d'information très qualifiée. Le blogger peut aussi être le témoin d'un événement. Le 11 Septembre est à nouveau l'exemple de l'importance qu'ont prise les témoignages des bloggers. Idem lors du Tsunami, la guerre en Irak ou l'ouragan Katrina.
Autrement dit, les lecteurs et l'audience peuvent maintenant jouer un rôle dans la production de l'information. Internet et les blogs constituent aujourd'hui des outils d'information, de collaboration et de diffusion qui modifient considérablement la donne du jeu médiatique.
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